L’orfèvrerie Christofle

(Captation)

Charles Christofle (1805-1863) crée en 1830 une petite entreprise de bijouterie-orfèvrerie à Paris. Son fils Paul Christofle (1838-1907) lui succède. A partir de 1850 il crée une véritable industrie de l’orfèvrerie qui va vite se développer. Ils innovent en industrialisant la dorure et l’argenture par électrolyse.

L’utilisation d’un nouvel alliage, le maillechort, moins cher que l’argent et le cuivre argenté, donne un essor considérable à l’entreprise qui construit à partir de 1875 l’usine de Saint-Denis sur une emprise de 21 000 m². 500 personnes y travaillent. Progressivement la production de l’usine parisienne s’arrête et tout est regroupé à Saint-Denis qui emploiera jusqu’à 1 500 personnes.

(Captation)

Au début des années 1970, les évolutions du marché et les nouvelles technologies conduisent les dirigeants de l’entreprise à décentraliser les productions en Normandie et en Amérique Latine. Seules les activités spécifiques de haute orfèvrerie restent à Saint-Denis jusqu’à leur arrêt définitif en 2007 .

 

En 1966, un musée voit le jour sur le site. Il présente plus de 2 000 pièces d’orfèvrerie. Il est définitivement fermé fin 2008.

En 2007, le site est inscrit au titre des Monuments Historiques. Il est racheté la même année par un groupe immobilier qui, en attendant la mise en œuvre d’une opération d’envergure, loue les bâtiments à des artisans et à des organisateurs d’événements : fêtes, émissions de télévision, tournage de films, opérations de promotion etc.

Comme les usines à gaz, les Magasins Généraux et les ateliers de la SNCF, Christofle est un site emblématique de la Plaine, témoin de ses 150 ans d’histoire industrielle.

La longue histoire de l’orfèvrerie Christofle

Christofle, un patrimoine à préserver et à valoriser

Une dynastie d’ingénieurs, d’artistes et de chercheurs dans l’industrie du luxe.

Charles Christofle (1805-1863) crée en 1830 une petite entreprise de bijouterie-orfèvrerie à Paris. Son fils Paul Christofle (1838-1907) lui succède.

A partir de 1850, secondé par son neveu et successeur Henri Bouilhet (1830-1910), il crée une véritable industrie de l’orfèvrerie qui va vite se développer.

Ces dirigeants seront aussi de grands inventeurs.

Christofle innove en industrialisant la dorure et l’argenture par électrolyse. Cette technique inventée au début du 19 ème siècle, peut être appliquée à des objets de grande taille.

Christofle l’utilise en 1867 pour la réalisation des deux statues de 9,7 m qui surmontent l’Opéra Garnier à Paris. Christofle réalise d’autres statues monumentales comme la « Vierge et l’Enfant » pour l’église de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille, le plus grand ouvrage galvanisé au monde.

 

 

 

L’usine de Saint-Denis.

Elle est construite à partir de 1875.

C’est la période où Christofle conclue des accords avec les producteurs de nickel de Nouvelle Calédonie.

L’utilisation de nouveaux alliages à base de nickel de cuivre et de zinc, (le maillechort) donne un essor considérable à l’entreprise.

Les bâtiments sont implantés sur une emprise de 21 000 m2.

L’usine est raccordée au chemin de fer et au canal.

La production parisienne s’arrête progressivement et tout est regroupé à Saint-Denis qui emploiera jusqu’à 1 500 personnes.

Le maillechort
Pendant longtemps le cuivre était le métal de base de l’orfèvrerie. Mais il posait un problème de santé surtout lorsque l’argenture disparaissait et que le métal rouge apparaissait.

L’idée de Christofle fut de remplacer ce métal par du maillechort, alliage de cuivre et de nickel. Avantage, ce métal est blanc et plus rigide et moins cher ; inconvénient, la transformation du minerai n’en est qu’à ses débuts et il faut réinventer l’outillage pour transformer le maillechort en couverts et autres objets.

Paul Christofle, le fils du fondateur et Henri Bouilhet s’attellent à la tâche. Ils passent des accords avec les producteurs de Nouvelle Calédonie qui possède le plus grand gisement de minerai de nickel du monde. Des brevets vont leur assurer le monopole de la transformation du minerai en nickel et ainsi faire une percée décisive sur le marché de l’orfèvrerie.

Des pièces de prestige

De ces ateliers et des mains magiques des « meilleurs ouvriers de France » vont être créés les objets prestigieux qui ornent les tables des monarques et des plus grands palaces. Napoléon III, commande un prestigieux service de table pour 250 couverts !

Des collections seront crées pour les paquebots de luxe comme « Le Normandie ». Plus près de nous, l’avion supersonique « Concorde » utilisait de la vaisselle de Christofle.

Un objet insolite : « Le lit du Maharajah ».

« En avril 1882 Christofle reçoit une commande extraordinaire d’un client qui refuse de donner son identité ! Le contrat prévoit la fabrication d’un lit en bois de rose, orné d’argent avec des pièces décoratives et des monogrammes dorés, avec les initiales mystérieuses S.M.K.

Mais le clou du lit, c’est qu’il doit être flanqué de quatre statues féminines grandeur nature, à la peau super réaliste. De vrais cheveux, et elles doivent pouvoir bouger yeux et membres au son d’un orgue mécanique (qui doit jouer l’air de Faust de Gounod pendant une bonne demi-heure).

Le lit est livré à Bahawalpur en 1882. Le commanditaire S.M.K est … Sadeq Muhammad Khan IV. La boiserie de palissandre du Brésil est l’œuvre de Schmidt Piollet. L’orfèvrerie de la structure a demandé 290 kg d’argent poinçonné et gravé. La tête de lit est décorée des armes du client : deux grands pélicans ; un bouclier avec trois branches verticales ; des étoiles ; un casque de chevalier et un croissant de lune surmontant le tout. Et les fameuses initiales S.M.K.

Et aux quatre coins, les quatre femmes nues debout avec les cheveux de couleurs différentes tiennent un éventail en crin de cheval ou en plume d’autruche : une Française, une Espagnole, une Italienne et une Grecque. Cheveux conçus par Lesage, l’un des coiffeurs les plus célèbres de son temps … »

(Extraits de la Gazette des Arts août 2011).

Ce lit est restauré et exposé dans l’usine de Saint-Denis en 1998.

Le tournant des années 1970

En 1970, les évolutions du marché et les nouvelles technologies conduisent les dirigeants de l’entreprise à décentraliser les productions en Normandie et en Amérique Latine. Seules des productions spécifiques de haute orfèvrerie restent à Saint-Denis.

Un musée voit le jour en 1966 et accueille plus de 2 000 pièces d’orfèvrerie. Il est définitivement fermé fin 2008.

Christofle conserve son siège rue Royale à Paris et plusieurs boutiques de luxe en Ile de France.

Le site de Saint-Denis est inscrit au titre des Monuments Historiques en 2007.

La même année, il est racheté par un groupe immobilier. En attendant une restructuration d’envergure, les bâtiments sont loués pour des activités temporaires : évènementiel, émissions de télévision, tournages de film, ventes aux enchères etc.

La «belle ouvrage »

Au fil des décennies, des ouvriers artisans se sont succédés et ont formé une longue chaîne de savoir faire à la recherche de la perfection du geste et de l’objet.

Les métiers de l’orfèvrerie
– L’orfèvre : c’est le métier de base. C’est lui qui va assembler les différentes pièces pour réaliser et finir l’objet.
– Le graveur sur acier réalise les moules, les matrices et les poinçons qui serviront à la fabrication des pièces.
– Le tourneur-repousseur réalise des pièces cylindriques à partir d’un disque de métal qu’il va déformer à l’aide d’outils guidés à la main.
– Le planeur-retreigneur va fabriquer des plats, des coupes ou des soupières en martelant une plaque de métal jusqu’à obtenir la forme souhaitée.
– Le ciseleur va réaliser les décors des pièces.
– L’argenteur termine les pièces en effectuant des dépôts de métal par procédé électrolytique.
– On trouve aussi des polisseurs, des graveurs, des débosseleur, des vernisseurs etc.

Tous ces métiers « si difficile à expliquer et si facile à comprendre » comme le disait un des ouvriers !

Beaucoup des ouvriers qui sont devenus par la suite de véritables artistes ont commencé comme apprenti sous l’autorité d’un Maître ouvrier. Ils restaient longtemps dans l’entreprise qui les incitait à se perfectionner. Plusieurs ont eu des médailles d’or de Meilleur Ouvrier de France.

Des témoignages

En 1998, alors que les ateliers étaient progressivement désertés, des témoignages d’ouvriers ont pu être recueillis. En voici quelques extraits :

« Le métier d’orfèvre réunit la quintessence des savoirs de l’orfèvrerie. Il sert de trait d’union avec les autres métiers, car il est présent à tous les stades de la fabrication. L’orfèvre est l’ouvrier qui forme, ajuste, brase, soude, bouterolle, etc., les éléments qui constituent une pièce d’orfèvrerie. Il sait rétreindre et planer. Il connaît bien la géométrie et ses développés pour exécuter, en partant d’une feuille de métal, des pièces de forme hexagonale, carrée, rectangulaire, des boîtes par exemple…
En outre, j’ai suivi de nombreux cours internes à l’entreprise. On nous y fournissait le niveau nécessaire à notre emploi; mais j’estime que l’expérience de mon métier attitré a constitué l’atout le plus précieux. Les démonstrations de professionnels autorisés au poste de travail sont singulièrement enrichissantes pour tous. L’ouvrier y apprend à juger, à évaluer son supérieur à partir de ses compétences…
Enfin, pour devenir un bon compagnon, il faut compter dix années d’expérience, apprentissage compris ».
Guy BERTSCH, Orfèvre.

« J’ai été accueilli dans une très bonne ambiance. La moyenne d’âge de l’équipe tournait autour de vingt-sept/vingt-huit ans. Quelle chance pour un jeune garçon de quinze ans ! Et en plus du travail, j’ai découvert la solidarité ouvrière. En ce temps-là, le syndicalisme était la “religion” des travailleurs. Huit jours après notre admission, les anciens nous montraient leur carte syndicale et nous expliquaient les raisons d’adhérer au syndicat. L’adhésion était naturelle. Elle faisait partie de la vie des travailleurs. Je n’oublierai pas la camaraderie qui en résultait. Les amitiés! La solidarité! …

Dès mon entrée chez Christofle, je n’ai jamais poursuivi qu’un seul but, celui de devenir un tourneur-repousseur accompli. Je me plais à répéter qu’en ce temps-là, le maître d’apprentissage était le chef d’équipe qui lui-même était désigné par le chef d’atelier et choisi parmi les plus doués, les plus sérieux, jugé en quelque sorte le plus apte. Et d’autre part, tous les compagnons concouraient à notre encadrement et contribuaient à notre formation…
Avec ses membres, j’ai beaucoup appris, non seulement le métier, mais la ligne à suivre dans l’existence, une ligne soutenue et guidée par la droiture. Je ne serai pas ce que je suis devenu sans eux. J’ai travaillé trente, trente-cinq ans, quarante ans avec des gens, des amis, des camarades, avec qui j’ai noué des relations chaleureuses…

Il n’existe pas de règle préétablie pour devenir un “maître”. Une dizaine d’années sont sans doute nécessaires pour devenir un bon repousseur. “Maître”, on le devient après une solide expérience emmagasinée et dès lors qu’on se sent susceptible d’initier des gens aux ficelles du métier. On ne se décerne pas le titre de maître; on ne s’autoproclame pas tel. Ce sont les autres qui vous désignent et vous qualifient. Ils se le disent entre eux comme je l’ai fait moi-même auparavant quand j’évoquais l’homme qui m’a appris le métier. D’une certaine façon, on élit le maître à l’insu de celui-ci, et en toute connaissance de cause.
C’est sans doute pour cette raison que j’ai beaucoup innové et inventé. Durant ces quatre décennies, rien ne m’a jamais semblé “arrêté”. Des techniques nouvelles me sont apparues…
Dans cette optique, j’ai appris, j’ai enseigné, j’ai formé des apprentis, j’ai été délégué du personnel et délégué au comité d’établissement, il y a maintenant plus de vingt ans…
Je dois quand même dire combien je suis fier de l’œuvre réalisée pour le concours de meilleur ouvrier de France, et plus récemment d’avoir confectionné le service de messe de Jean-Paul II, pour sa venue aux Journées mondiales de la Jeunesse, service qu’il a offert à la cathédrale Notre-Dame de Paris. La copie de ce service demeurera au musée Christofle de Saint-Denis. Par ailleurs, j’ai réalisé un service à thé Mercury pour le président de la République, Georges Pompidou, qui l’a offert au président Nixon… »
Raymond GAY, Tourneur-repousseur

« L’objet à réaliser, je le plie à mon savoir-faire sinon à mon talent. Néanmoins, je ne me considère pas comme un artiste encore que mon métier soit qualifié d’art. Ce métier si difficile à expliquer et si facile à comprendre

Car, au bout du compte, de quoi s’agit-il ? On me fournit un dessin, je le traduis en volumes. Je m’empare d’une feuille de métal et je la martèle jusqu’à lui conférer la forme désirée. Rien de très obscur: une série de gestes appris et reproduits, interprétés, mais une série de gestes qui exigent de multiples positions du corps et peut-être que le planage consiste à modeler le corps autant qu’à conformer le métal plat à l’aide de marteaux qu’il s’agisse de théière, de cafetière, etc. J’ajoute qu’il nécessite une très bonne connaissance de l’outillage. Je dispose de centaines d’outils appropriés et il me faut effectuer un choix judicieux pour intervenir car la pièce est entièrement réalisée à la main »…

(Captation)

« Bien sûr, au début on m’a donné des pièces plus ou moins courantes, mais au bout de cinq ou six ans, on m’a confié des prototypes. Un ouvrier est quelqu’un qui parle avec les mains, au sens le plus profond, et j’ai donc pu m’exprimer comme je le souhaitais…
Après ma médaille, le succès m’a valu quelques désagréments futiles. Je ne me plains pas, mais lors des visites organisées dans l’usine on me présentait comme un phénomène au détriment des camarades qui m’entouraient. Je l’ai déploré, mais on n’a pas corrigé les attitudes à leur endroit. Dommage! J’aurais tellement aimé être distingué plus subtilement, moins pesamment, sans qu’on leur porte atteinte, sans que ma présence les relègue dans des coulisses. Il faut le comprendre : nous formions une famille… Et de toute façon les visiteuses seraient reparties avec un médaillon ou une petite rose que je confectionnais pour elles »…
Juan CASAS, ciseleur
(On peut retrouver l’intégralité de ces témoignages auprès de Mémoire Vivante)

Un patrimoine unique

Les pièces d’orfèvreries, les témoignages des ouvriers et les bâtiments constituent un patrimoine matériel et immatériel exceptionnel.

Christofle, avec les Magasins Généraux, l’usine à gaz du Landy et les ateliers SNCF de la Plaine, sont des sites qui ont gardé leurs périmètres d’origine et qui témoignent de toutes les étapes de la vie de ces entreprises.

Les bâtiments de l’usine Christofle ont été construits sur des rues intérieures s’articulant autour d’une place. La lumière pénétrait dans les ateliers par des fenêtres en toitures installées sous forme de sheds. Les façades comportaient de larges baies, toujours pour faciliter l’éclairage naturel dans une période où l’éclairage électrique n’existait pas.

Les ateliers ont fonctionné durant plus d’un siècle. Avec les progrès technologiques, les cheminées des machines à vapeur ont disparu et les grands arbres d’entrainement des machines ont été remplacés par les moteurs électriques. Mais les bâtiments ont été conservés.

Des ouvriers solidaires :
L’histoire des ouvriers de Christofle est indissociable des grandes luttes sociales du 19ème et du 20ème siècle. Ils participeront à de nombreuses grèves. A titre d’exemple, dans son livre « Histoire de Saint-Denis », Roger Bourderon indique pour la période des années 1890 :

« Ce qui distingue notre ville (Saint-Denis) est l’importance des « grèves de dignité », car 35 % des conflits naissent de la demande de réintégration des délégués syndicaux licenciés et 28 % de la modification des règlements du travail. Cette originalité est peut être due à l’influence des syndicalistes révolutionnaires … Celles qui ont le plus marqué la ville ont lieu chez Christofle entre septembre et novembre 1892 contre le travail des enfants… »

Quel avenir pour les bâtiments de l’usine Christofle ?
Il est clair que l’utilisation actuelle des bâtiments n’est que transitoire. Quand le contexte immobilier sera favorable le site sera transformé. C’est là qu’il faut s’interroger : quelle place sera réservée au patrimoine existant dans les futurs projets ?